Tout d’abord, je dois vous avouer quelque chose. Jadis, je détestais le contenu canadien (CanCon). Non pas la musique en tant que telle, ni les artistes, mais des règles que le CRTC avait imposées aux professionnels de la radio comme moi. L’idée que les quotas prennent le dessus sur la qualité de l’art — car c’est ainsi que bon nombre d’entre nous le comprenions — était un véritable anathème jeté sur le libre arbitre de la radiodiffusion. « Vous nous forcez à jouer de la musique que nos auditeurs ne veulent pas entendre », avons-nous crié. « C’est une recette infaillible pour faire dégringoler les cotes d’écoute! »
Et tant qu’à me confesser, j’avoue avoir comparé, au cours de plusieurs présentations, le contenu canadien au brocoli, dont les parents bourrent les assiettes de leur progéniture. « Mais je n’aime pas ça, le brocoli! » « Tais-toi. C’est bon pour toi. À force d’en manger, tu y prendras goût. En plus, il faut aider les agriculteurs qui produisent le brocoli. Finis ton assiette. C’est ton devoir patriotique. »
Mais maintenant, je reconnais pleinement et sans vergogne mes erreurs et mon manque de foi.
Lorsque les règles de contenu canadien à la radio sont entrées en vigueur le 18 janvier 1971, elles constituaient non seulement une stratégie culturelle, mais aussi une vision à long terme pour l’avenir. À l’époque, le Canada peinait à bâtir une industrie musicale fonctionnelle : pas assez de studios d’enregistrement, ni de promoteurs, d’imprésarios et de producteurs, une minuscule brochette de maisons de disque nationales, un exode constant des talents vers les États-Unis et une impression persistante (bien qu’injustifiée) que la musique canadienne était inférieure à celle des autres pays.
Les musiciens canadiens avaient du mal à se faire entendre à la radio, car ils ne disposaient pas des outils et des ressources nécessaires pour peaufiner leur art. Et parce que la radio hésitait à diffuser du matériel canadien, il n’y avait aucune arène pour rivaliser avec les meilleurs de ce monde. Toute l’attention accordée à la musique américaine et britannique étouffait la musique canadienne au berceau.
Mais dès l’entrée en vigueur de la réglementation il y a cinquante ans, les stations de radio ont dû consacrer 30 % de leurs listes de diffusion à des artistes nationaux, le caractère canadien d’une chanson étant déterminé par le nouveau système MAPL (musique, artiste, production, paroles lyriques) du CRTC. En raison de cette demande soudaine pour de nouveaux produits, il a fallu bâtir rapidement l’infrastructure d’une industrie moderne de musique enregistrée.
Des entreprises aussi audacieuses demandent du temps et se heurtent inévitablement à des résistances ainsi qu’à de subtiles tentatives de sabotage. Les professionnels de la radio de l’époque se souviendront des « heures du castor », généralement entre 23 h et minuit, lorsque
les stations diffusaient des montages élaborés de chansons canadiennes, entassant 20 à 30 morceaux dans cette plage de 60 minutes, ce qui permettait de respecter les quotas quotidiens et hebdomadaires sans avoir à diffuser cette musique aux heures de grande écoute. (Le CRTC prendra rapidement conscience de cette pratique et modifiera les règles pour empêcher de telles manigances.)
Soyons honnêtes. Dans les années 1970 et même au début des années 1980, comme nous devions faire avec les moyens du bord, beaucoup de produits de qualité inférieure n’étaient diffusés qu’en raison des quotas. Il y avait bien sûr de nombreuses exceptions, mais la musique canadienne était stigmatisée.
C’est alors qu’un phénomène étrange a commencé à se produire. La vision à long terme d’une industrie musicale nationale forte a commencé à prendre forme. Au début des années 1980, de nombreux professionnels de la radio considéraient encore le contenu canadien comme un mal nécessaire, sans se rendre compte que la musique s’améliorait réellement. En 1982, FACTOR était créé, donnant aux artistes nationaux un coup de pouce financier. VideoFACT a suivi, avec le lancement de MuchMusic en 1984, qui avait ses propres règles de contenu canadien à respecter.
Ce double coup de pouce a fait entrer davantage de musique canadienne dans la vie des Canadiens. Les artistes ont pu amorcer de solides carrières nationales et, dans certains cas, réussir à l’international sans avoir à déménager aux États-Unis. Les fans ont commencé à adopter nos artistes non pas parce qu’ils étaient canadiens, mais parce qu’ils étaient bons. Et la radio a fini par reconnaître que diffuser du contenu canadien pouvait être rentable.
Ensuite, les années 1990 ont vu déferler un tsunami de nouveaux groupes qui ont non seulement prospéré d’un océan à l’autre, mais aussi trouvé un écho à l’étranger. Soyons reconnaissants envers la génération X, à qui nous devons la révolution CanRock (The Tragically Hip, Our Lady Peace, The Tea Party et des dizaines d’autres), une nouvelle scène hip-hop nationale (Maestro Fresh Wes, Snow), une communauté de musique country bien implantée (Shania Twain!), quelques monstres de la pop (Alanis Morissette, Céline Dion) et l’adhésion générale à de nombreux artistes antérieurement étiquetés alternatifs (Sarah McLachlan).
À la fin des années 1990, les Canadiens ne se contentent plus de tolérer la musique canadienne : ils l’exigent. Le contenu canadien est si bien accepté que lorsque le quota est augmenté à 35 % le 3 janvier 1999, presque personne ne s’en rend compte. Depuis l’an 2000, la plupart des nouvelles stations s’engagent à porter ce quota à 40 %. Cela prouve que les professionnels de la radio ont foi en cette formule musicale.
Aujourd’hui, le nombre de nos artistes qui connaissent un succès international dépasse largement les attentes. Bon an mal an, le marché canadien de la musique dispute la cinquième place mondiale à l’Australie – qui, soit dit en passant, a aussi tiré profit de quotas de musique nationale.
Nos règles liées au contenu canadien sont-elles parfaites? Bien sûr que non. Comme les quotas s’appliquent à tous les formats, les radios qui tournent de vieux succès ont eu du mal à s’imposer au pays. Il n’y a tout simplement pas assez de classiques canadiens pour atteindre un quota de 35 %, si bien que ces stations, par exemple celles spécialisées dans le rock classique, finissent par jouer Neil Young et Bachman-Turner Overdrive en boucle, pour ainsi dire, épuisant leurs auditeurs titre après titre. Et que dire de l’Internet, notamment des services de musique en diffusion continue basés à l’étranger, qui ne font que siphonner l’argent hors du pays, sans investir dans nos talents à l’instar des entreprises médiatiques nationales?
La robustesse de notre système est aussi sa faiblesse. Étant donné le nombre d’institutions et d’organisations soutenues et habilitées par le système de quotas de contenu canadien, il y aura toujours une grande résistance au changement, personne ne souhaitant se retrouver au chômage. Dès qu’on envisage d’apporter la moindre modification aux règles applicables à la radio – par exemple, une légère diminution du pourcentage requis pour les stations diffusant de vieux succès ou un crédit supplémentaire pour les radios acceptant de prendre des risques en donnant une chance aux artistes émergents peu connus — cela devient immédiatement une patate incandescente, sur le plan politique et culturel.
Mais nous trouverons une solution. Nous sommes maintenant trop forts en musique pour baisser les bras.
Photo : The Tragically Hip en prestation aux Prix JUNO 2005, après l’intronisation du groupe au Panthéon de la musique canadienne. Crédit : CARAS/iPhoto.