L’histoire de la musique lourde aux JUNOS commence avec un groupe. En fait, avec un mot : Rush.
Un jour décrit par son bassiste et chanteur Geddy Lee comme « le groupe culte le plus populaire de tous les temps », Rush — un trio complété par le guitariste soliste Alex Lifeson et le regretté batteur de légende et parolier Neil Peart — a donné au métal canadien ses lettres de noblesse sur la scène internationale et est devenu l’un des piliers du rock progressif. En 1975, un an avant la sortie de l’emblématique album 2112, le groupe était sacré Groupe le plus prometteur de l’année. Or, ce n’était là que la première étape de l’ascension du trio qui a culminé par une intronisation au Panthéon de la musique canadienne en 1994.
La reconnaissance officielle de la musique lourde aux JUNOS n’a pas suivi une trajectoire en ligne droite. Elle a connu des hauts et des bas, en fonction de l’évolution de la perception de ce qu’est le « métal » et de son écho auprès de la critique et du public. Dans les années 1970 et 1980, des groupes comme Prism, Saga et Trooper — qui évoquaient plus ou moins le son du heavy métal britannique avec une touche plus pop — ont connu leurs heures de gloire. Il faudra toutefois attendre jusqu’en 1991 pour voir apparaître la catégorie Meilleur album hard rock/métal aux JUNOS, dont la première édition est remportée par Rush, pour son album Presto.
L’année suivante, le mot « métal » n’apparaissait plus dans le nom du prix. L’introduction de la catégorie témoigne toutefois d’un réalignement culturel, marqué par la montée en puissance du rock alternatif et du grunge et par une volonté de soutenir les artistes canadiens de cette mouvance et de ses déclinaisons. Au début des années 1990, les finalistes sont représentatifs de la diversité de la musique lourde qui émane du Canada : les pionniers du heavy métal KiLLeR DWaRfS et Triumph sont respectivement en nomination pour leurs albums Dirty Weapons et Edge of Excess; de leur côté, les rockeuses Lee Aaron et Chrissy Steele brisent le plafond de verre et s’invitent dans le boys club du rock.
Les nominations successives du mythique groupe métal jonquiérois Voivod constituent l’un des temps forts de cette période. En 1991, le thrash vitriolique exécuté avec la dextérité technique du métal progressif de Voivod lui vaut une mise en nomination pour l’album Nothing Face, un succès commercial qui s’inscrit au palmarès Hot 100 du magazine Billboard. La formation jonquiéroise récolte une autre nomination en 1993 pour son opus suivant, Angel Rat, qui deviendra un album culte.
En 1996, on retire les mots heavy music (musique lourde) du titre du prix, qui devient une sorte de fourre-tout où l’on case un large éventail de rock alternatif. Cette décision, reflet des métamorphoses et de l’évolution constante du genre — les frontières entre les sous-genres du rock ne sont plus hermétiques, et de la taxonomie du genre, doit à la fois répondre aux besoins présents et anticiper l’avenir. Malgré les nominations de groupes à tendance métal comme Alexisonfire, Cancer Bats, Danko Jones et Protest The Hero dans les années 2000, l’historique de cette catégorie de prix continue de susciter des questions, particulièrement en raison du caractère plutôt vague de la définition de la « musique lourde ». Pourquoi ne compte-t-on qu’une seule femme, Alanis Morissette, parmi tous les gagnants des prix JUNO de l’Album rock de l’année? Ou encore, pourquoi des artistes féminines comme Avril Lavigne et Fefe Dobson, qui font toutes deux de la musique dans la mouvance du rock, ne figurent-elles pas dans les annales de l’histoire du rock canadien?
En 2011, 20 ans après disparition du mot « métal » de la nomenclature des prix JUNO, une nouvelle catégorie est créée : Le JUNO de l’Album de musique métal/hard de l’année, consacré uniquement à la musique lourde, est intégré à la suite d’une campagne orchestrée par Sonic Unyon, la légendaire étiquette de Hamilton. Le prix est remis au trio winnipégois KEN Mode pour l’album charnière Venerable, un premier pas vers une reconnaissance longuement attendue. Ainsi, l’iconique groupe death-métal québécois Gorguts est nommé pour l’album Coloured Sands, un second album lancé par le groupe 25 ans après sa formation.
En entrevue avec le Toronto Star en 2012, Jesse Matthewson, guitariste et chanteur du groupe KEN Mode, résume bien l’évolution du prix : « C’est bon de voir que le Canada commence à apprécier les arts des ténèbres. »
Photo : Voivod reçoit le prix Album métal/hard de l’année aux prix JUNO 2019. Crédit : CARAS/iPhoto.