Cinquante ans après, les sandwichs font toujours jaser.
Le budget dont disposait Walt Grealis pour la première cérémonie officielle de remise des Prix JUNO, au St. Lawrence Hall de Toronto le 22 février 1971, était si restreint que les 600 invités passent la soirée debout, l’éditeur du magazine RPM n’ayant pas les moyens de louer des tables. Faute de traiteur, la mère de Stan Klees doit régler l’addition du bar et préparer elle-même les petites bouchées, des beignets traditionnels polonais appelés chrusciki.
Toutefois, en dépit de la fête à petit budget, les Canadiens avaient de quoi célébrer. Gordon Lightfoot venait de décrocher un premier succès nord-américain avec If You Could Read My Mind. Sur la lancée du succès de Snowbird, Anne Murray était maintenant une vedette internationale et les Guess Who devenaient le premier groupe rock canadien à s’installer en première place du palmarès Billboard avec American Woman.
De plus, la fébrilité dans la salle est palpable en raison de l’espoir suscité par l’introduction prochaine de la réglementation sur le contenu canadien. Dans cette perspective, Grealis décerne à Pierre Juneau le prix spécial de Membre de l’industrie de l’année pour ses efforts.
Anne Murray, présente à la cérémonie, remporte son premier JUNO à titre d’Interprète féminine de l’année, tandis que Snowbird et l’album Wheat and Laughter valent respectivement la palme de la Meilleure production (single) et Meilleure production (album MOR) à son producteur Brian Ahern.
Parmi les principaux lauréats de l’année, on recense également Gordon Lightfoot (Meilleur interprète masculin); The Guess Who (Meilleur groupe instrumental et vocal); The Mercey Brothers (Meilleur groupe instrumental country); Stompin’ Tom Connors (Meilleur interprète masculin country), Myrna Lorrie (Meilleure interprète féminine country); Bruce Cockburn (Meilleur chanteur folk) et Gene MacLellan (Prix spécial : compositeur canadien).
En 1972, un an après l’entrée en vigueur de la réglementation sur le contenu canadien, l’industrie de la musique s’intéresse d’encore plus près aux Prix JUNO. Au total, 1 000 personnes assistent aux festivités, qui ont lieu à l’hôtel Inn On The Park de Toronto.
Plusieurs artistes — notamment The Stampeders, Five Man Electrical Band, The Bells, Bruce Cockburn, The Poppy Family et April Wine — bénéficiaient maintenant d’une énorme diffusion radiophonique et des importantes ventes de disques qui en découlaient.
La majorité des gagnants de 1972 s’étaient déjà illustrés l’année précédente, notamment Anne Murray et Brian Ahern (Meilleure production, album MOR pour Talk It Over In The Morning).
Les Prix JUNO ont le vent dans les voiles : en 1973, la cérémonie attire encore plus de monde – 1 200 personnes cette année-là – dans la Centennial Ballroom de l’hôtel Inn On The Park. Vingt prix sont remis, et Gordon Lightfoot — qui assiste à l’événement pour la première fois — repart avec le JUNO de l’Interprète masculin de l’année et celui du Meilleur compositeur. Anne Murray est sacrée Interprète féminine de l’année pour la troisième année consécutive; Stompin’ Tom Connors remporte le prix de Chanteur country de l’année, lui aussi pour une troisième année, et les Mercey Brothers remportent les honneurs de Groupe country de l’année. De nouveaux visages sont également de la partie : Shirley Eikhard, Chanteuse country de l’année; l’ex-chanteur de Lighthouse Bob McBride, Interprétation masculine de l’année; Edward Bear, Interprétation de l’année (groupe); Gene Martynec, Meilleure production (single) pour la pièce Last Song d’Edward Bear; Valdy, Interprétation de l’année (folk); et l’auteur-compositeur-interprète de Blood, Sweat and Tears, David-Clayton Thomas, reçoit un prix spécial soulignant sa Contribution exceptionnelle à la scène musicale canadienne.
La notoriété des JUNOS va sans cesse croissante : en 1974, Grealis fixe le prix d’entrée à 12,50 $ et la salle Centennial Ballroom de l’hôtel Inn On the Park affiche complet pour la cérémonie du 25 mars. Vingt-quatre prix sont présentés, et plusieurs artistes récoltent une première statuette : Le Winnipégois Terry Jacks, qui connaissait alors un succès phénoménal avec son tube international Seasons In The Sun, remporte les prix d’Interprète masculin de l’année, Single contemporain et Single pop. Murray McLauchlan réalise lui aussi un tour du chapeau : Compositeur de l’année pour la pièce Farmer’s Song, qui lui vaut également les JUNOS du Single country et du Single folk de l’année. Cathy Young est couronnée Interprète féminine la plus prometteuse et Ian Thomas est son vis-à-vis masculin. Le groupe vancouvérois Bachman-Turner Overdrive remporte deux trophées : Groupe le plus prometteur et Meilleur album contemporain pour son premier album éponyme.
Anne Murray récolte les honneurs de Meilleure interprète féminine pour une quatrième année consécutive, alors que son album Danny’s Song décroche la palme du Meilleur album pop. De son côté, Stompin’ Tom est consacré Meilleur artiste country masculin, son album To It and At It, Meilleur album country.
La popularité des Prix JUNO atteint de nouveaux sommets, mais il y avait de l’orage dans l’air. La tension monte entre le duo Grealis-Klees et la communauté musicale, représentée par l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement (CRIA). L’objet de la polémique? À savoir si les Prix JUNO étaient mûrs pour une diffusion aux heures de grande écoute de la télévision à l’échelle nationale. La CRIA était d’avis que la remise de prix pouvait et devait passer à l’étape suivante de son évolution : la télédiffusion. Grealis et Klees en doutaient.
Cette divergence de vues faillit mener à la création d’une autre cérémonie de remise de prix qui aurait rivalisé avec les JUNOS.
Photo : Anne Murray et The Stampeders aux Prix JUNO 1972. Crédit : Bruce Cole/Plum Communications inc.