La création des JUNOS et la fondation du Panthéon de la musique canadienne n’ont pas été une mince affaire. En fait, dans les années 1970, on assiste à une lutte pour le contrôle de la première cérémonie de remise de prix. L’objet de la polémique? À savoir si la cérémonie honorant les artistes canadiens était mûre pour une diffusion aux heures de grande écoute de la télévision à l’échelle nationale.
Les fondateurs des Prix JUNO, Walt Grealis et Stan Klees, estimaient prématuré de télédiffuser l’événement. Brian Robertson, président de l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement (AICE), n’était pas du même avis.
« Au début des années 1970, l’industrie était plutôt une affaire régionale, disait Robertson en entrevue en 2011. Il n’y avait pas réellement de fil conducteur reliant ses composantes d’un bout à l’autre du pays. Notre motivation, disait-il, était de trouver un véhicule qui nous permettrait d’y remédier. Nous avons tout de suite pensé aux Prix JUNO – parce que les Grammys étaient évidemment déjà bien établis. »
Robertson a d’abord proposé à Grealis et Klees de télédiffuser les Prix JUNO sous licence. « Nous pensions qu’un événement télévisé à l’échelle nationale pourrait être le point de départ de la convergence de toute l’industrie. »
Robertson se souvient que les négociations prirent rapidement un tour « acrimonieux ». Avant la tenue de l’édition de 1974 des JUNOS, l’AICE (en anglais, CRIA) annonce son intention de créer les prix Maple Music, qui feraient entrer les ventes de disques dans l’équation comme critère de base de la sélection des gagnants de chaque catégorie. On veut également introduire pour la première fois des catégories internationales.
Un mois après la tenue des Prix JUNO le 24 mars, l’AICE s’apprête à négocier la télédiffusion de l’événement par le réseau CTV. Heureusement, le bon sens prévaut et on en vient à une entente.
L’éditeur de RPM Weekly, Walt Grealis, fait le premier pas et accepte un compromis, permettant à l’industrie de la musique de jouer un rôle plus important dans la cérémonie de remise de prix. On créa donc la Canadian Music Awards Association ou CMAA (Association des Prix de la musique canadienne), précurseure de l’Académie canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement (CARAS), pour administrer les Prix JUNO 1975 avec Grealis.
« Nous nous sommes entendus sur l’utilisation du nom, dit Robertson. Mais nous avons alors déterminé que l’Académie, qui allait devenir la CARAS, devait représenter toutes les composantes de l’industrie, les grandes maisons de disques, les indépendants, les éditeurs de musique, les artistes, les auteurs – l’ensemble du milieu. »
En mettant sur pied la CARAS, essentiellement pour administrer le premier événement en 1975, Robertson parvient à signer une entente avec la CBC pour sa télédiffusion. « Au bout du compte, j’ai administré l’Académie et produit l’événement jusqu’en 1983. »
La CBC s’étant engagée à diffuser l’événement, il fallait maintenant trouver un animateur vedette à la hauteur de la tâche. Et qui de mieux que Paul Anka? Il fut le premier Canadien à décrocher un numéro 1 au Billboard et sa carrière atteignait alors un nouveau sommet avec le mégasuccès (You’re) Having My Baby.
Sauf que les choses ne se sont passées comme prévu, se souvient Robertson.
« Nous nous sommes servis de l’influence de la maison de disques – qui s’appelait alors la United Artists – pour entrer en contact avec lui, dit Robertson. Nous avons débarqué au Caesar’s Palace [à Las Vegas, où Anka se produisait] pour le convaincre d’animer l’événement. »
Anka accepte d’animer la remise de prix au Queen Elizabeth Theatre, mais à condition de faire l’aller-retour vers Toronto à bord d’un jet privé. La United Artists couvre les frais du voyage en jet privé, des scripts sont envoyés et les organisateurs de l’événement obtiennent la garantie que le chanteur sera à l’heure pour la répétition du mercredi précédent l’événement du samedi. Or, le mercredi, Anka brille par son absence. Le jeudi, puis le vendredi, Anka manque toujours à l’appel. Alors que les organisateurs étaient aux abois, Anka atterrit à Toronto à 11 h 30 le samedi – jour J – et participe à la répétition de 14 h.
Et le script? Anka n’en lut jamais une seule ligne, mais une série de cartes aide-mémoire lui permirent de sauver les apparences, et l’événement.
En plus d’Anka, la scène accueille ce soir-là les Andy Kim, Anne Murray, The Stampeders, Stompin’ Tom Connors, Susan et Terry Jacks, et on diffuse une prestation préenregistrée de Bachman-Turner Overdrive.
Et qui furent les plus éminents récipiendaires de prix? Randy Newman accomplit un tour du chapeau en récoltant le Juno du Producteur de l’année, alors que son groupe BTO repartait avec celui des Meilleures ventes d’albums pour Not Fragile, de même que Groupe de l’année. Pour leur part, Gordon Lightfoot (Interprète masculin de l’année, Chanteur folk de l’année) et Anne Murray (Interprète féminine de l’année, Chanteuse folk de l’année) y vont d’un doublé, tandis que Gino Vannelli et Suzanne Stevens se méritent respectivement l’accolade d’Interprète masculin le plus prometteur et d’Interprète féminine la plus prometteuse. Le Groupe le plus prometteur en 1975? Les rockeurs torontois de Rush. Le Carlton Showband remporte la palme du Groupe ou duo country de l’année, alors que l’animateur Paul Anka est sacré Compositeur de l’année.
Photo: Paul Anka anime la première cérémonie télévisée des Prix JUNO en 1975. Crédit : Bruce Cole/Plum Communications inc.