Dans les années 1990, différents genres musicaux ont fait leur apparition dans les palmarès du monde entier, du grunge au rap, en passant par le rock alternatif, le R&B et le funk. Mais au Canada, la décennie n’a été que pop. Et trois femmes – dont les prénoms, à eux seuls, allaient devenir emblématiques et synonymes de succès mondial – ont ouvert la voie. Chacune d’entre elles a tracé son propre chemin. Mais elles partageaient toutes trois un trait important : elles ont délibérément brouillé les frontières qui séparaient les genres et défié le diktat de l’industrie de la musique traditionnelle, voulant que les artistes féminines restent marginales et que seuls les artistes masculins font des chansons qui touchent tous les publics.
Il s’agissait bien sûr de Céline Dion, de Shania Twain et d’Alanis Morissette. En plus de bouleverser le statu quo qui régnait dans la musique canadienne au milieu des années 1990, ces trois artistes ont établi une toute nouvelle mesure du succès. Le rôle individuel de chacune d’entre elles a été si grand que les Prix JUNO ont décidé de décerner à toutes trois le prix spécial récompensant le rayonnement international en 1997.
La demi-douzaine d’années qui a conduit à cet honneur partagé a été décisive pour Céline Dion, Shania Twain et Alanis Morissette. Mais aussi pour le Canada.
Céline connaît une impressionnante carrière musicale au Québec pendant son adolescence dans les années 1980, avec la sortie de son premier album en anglais, Unison, en 1990. Mais c’est son album éponyme de 1992 et son disque révolutionnaire de 1993, The Colour of My Love, qui forgent la réputation internationale de Céline. Sa voix puissante traversant les octaves et ses performances évocatrices élèvent Céline au rang de « diva », aux côtés de Mariah Carey et de Whitney Houston. L’album Falling Into You, sorti en 1996, consacre son ascension : elle remporte de nombreux prix Grammy et World Music, ainsi que des prix JUNO dans la catégorie Interprète féminine de l’année et Meilleures ventes d’albums, en 1997. C’est en 1997 qu’elle atteint véritablement le sommet : elle sort Let’s Talk About Love, qui contient le plus grand succès de sa carrière (à ce jour), My Heart Will Go On, chanson vedette du film Titanic, dont l’importance est si grande qu’elle vaut à Céline l’honneur de remporter un deuxième prix de Réussite internationale aux JUNO de 1999.
Alors que Céline Dion a surtout brillé par ses chansons d’amour dans les palmarès contemporains adultes et dans le Top 40, les deux autres lauréates ont connu une ascension fulgurante dans des genres assez différents.
Shania Twain grandit à Timmins, en Ontario, et débute sa carrière en sortant son premier album éponyme en 1993, caractérisé par des variations plus rythmées de la musique pop-country. Si l’album ne s’avère pas un grand succès, il pose les bases de sa percée en 1995 avec l’album The Woman In Me. Son country-pop traverse les frontières du genre. Nombre des plus grands succès de Shania ont été populaires à la fois à la radio country et au Top 40, mais elle a toujours gardé un petit côté décalé dans sa prestation : sans nécessairement voir les bottes de cow-boy dans chaque clip, on sait qu’elles sont toujours là. Huit singles sont tirés de l’album The Woman In Me, qui a remporté de nombreux prix, dont un prix Grammy, un prix de l’Association de la musique country canadienne, un prix American Country Music, un prix Billboard et deux prix JUNO.
Le phénoménal succès d’Alanis Morissette, native d’Ottawa, est dû à cette rare capacité de réinvention. En 1995, l’ancienne enfant vedette de la télévision fuit une identité dance-pop qui lui pèse particulièrement et recrée sa propre image : une jeune fille de 19 ans qui se réinvente pour atteindre la catharsis dans un style pop rock intense et riche en émotions. Son album Jagged Little Pill est inégalé dans la musique grand public, et des millions d’auditeurs sont subjugués par la voix sauvage d’Alanis et ses textes étrangement recherchés, exprimant les splendeurs et les misères de la vie quotidienne. Jagged Little Pill est la prescription parfaite pour tout un spectre de sentiments que personne n’avait vraiment su décrire jusque-là. Et un marché attendait cette musique tout à fait unique : Jagged Little Pill a été l’un des albums les plus significatifs des années 1995 et 1996, et a remporté six prix JUNO en 1996, ainsi que plusieurs prix Grammy en 1996 et 1997.
La décision de décerner les prix JUNO à Céline Dion, Shania Twain et Alanis Morissette en 1997 n’était pas une simple reconnaissance de ce qu’elles avaient accompli en si peu de temps. C’était la confirmation qu’elles avaient tout changé : les artistes féminines n’avaient pas à se limiter à leur propre genre, ni aux modes, ni aux tendances, ni aux marchés de niche. Elles ont figuré parmi les artistes des années 1990 ayant vendu le plus de disques, et cela demeure le cas au Canada et dans le monde entier. Leurs carrières continuent de faire les choses à leur façon, Céline et Shania donnant des spectacles populaires de grande envergure à Las Vegas, Alanis adaptant Jagged Little Pill pour les planches de Broadway, résistant toutes trois aux attentes réductrices de l’industrie de la musique qui voudraient les confiner aux limites des formules connues.
Au lieu de cela, Céline, Shania et Alanis, près de 25 ans après être devenues des icônes récompensées par des prix JUNO, continuent à ouvrir de nouvelles voies, non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour toutes les artistes canadiennes qui suivront leur exemple.
Photo : Shania Twain et Céline Dion reçoivent le Prix du rayonnement international remis à Céline, Shania et Alanis Morisette, à la Soirée des Prix JUNO en 1997. (CARAS/CBC)