Aujourd’hui, les artistes canadiens émergents peuvent compter sur un système de soutien, ici même au Canada, qui les aide à s’épanouir et à réaliser leur potentiel.
Il n’en a pas toujours été ainsi.
Dans les années 1960, du côté nord de la frontière, les temps étaient durs pour la relève musicale. Et ce manque de soutien ne faisait pas l’affaire de Walt Grealis, défenseur passionné de la musique canadienne, qui a cherché à rectifier la situation dès ses premiers pas dans le monde de la musique.
Né à Toronto, il réussit à passer de constable de la GRC et policier local à représentant commercial de la brasserie Labatt en 1960, avant d’opter une fois de plus pour un changement de carrière.
Stan Klees, qui a connu Walt Grealis à l’école secondaire, lui suggère de tenter sa chance dans l’industrie de la musique, l’informant d’une ouverture chez Apex Records, à la recherche d’un représentant en promotion.
Au début, Walt Grealis avait des doutes.
« Il m’a dit, Stan, je ne connais rien aux disques et je n’aime pas les gens qui font des disques », se souvient Stan Klees dans une entrevue donnée en 2011. « Mais je lui ai dit qu’il serait parfait pour le poste, car il avait d’excellentes aptitudes sociales. Et il l’a décroché! »
Walt Grealis est comme un poisson dans l’eau dans son nouvel emploi. Il passe ensuite chez London Records en tant que directeur de la promotion pour l’Ontario.
Mais c’est une conversation avec George « The Hound » Lorenz, DJ de la WKBW à Buffalo, qui scelle sa vocation.
« George lui a dit qu’il fallait engager un dialogue est-ouest au Canada pour relier les acteurs de l’industrie de la musique », se souvient Stan Klees.
S’inspirant de Lorenz, qui a publié sa propre fiche de conseils, M. Grealis prend les devants : le 24 février 1964 nait le magazine RPM. Axée sur les palmarès canadiens des chansons et albums, c’est la première publication consacrée à l’industrie de la musique au Canada. Elle deviendra bientôt la plus influente.
« On avait beaucoup de talents canadiens, mais pas d’industrie pour les soutenir », se rappelle M. Grealis en 1999. « La plupart des cadres étaient britanniques et américains. Il n’y avait pratiquement aucune présence canadienne. C’est pourquoi je voulais contribuer à la création d’une industrie canadienne de la musique. »
Le premier numéro du tout premier magazine canadien consacré au secteur de la musique a été produit à la bonne franquette.
« Il ne comportait que quatre pages et était collé sur une feuille de papier de huit pouces et demi sur quatorze pouces, pliée en deux », se rappelle Klees, qui s’est joint au magazine en tant que directeur des projets spéciaux. « Nous l’avons envoyé par la poste à 50 stations. Il indiquait les différentes stations de radio qui ajoutaient telle ou telle chanson, et parlait des maisons de disques et des produits dont elles faisaient la promotion, le tout agrémenté de quelques potins.
« Environ sept mois plus tard, nous avons trouvé une personne capable de l’imprimer sous forme de huit pages sur papier glacé où l’on pouvait insérer des publicités.
La publication est hebdomadaire. Le 7 décembre 1964, alors que les abonnements et la distribution prennent de l’ampleur, l’éditeur Grealis lance un sondage auprès des lecteurs pour déterminer qui est le plus grand talent du Canada.
Le 31 décembre de cette année-là, la première édition des Gold Leaf Awards de RPM souligne, entre autres, les réalisations des chanteurs The Esquires, Shirley Matthews et Terry Black.
Les lauréats sont célébrés lors d’une soirée vins et fromages organisée par Walt Grealis dans une salle de répétition de ballet dans l’est de Toronto. Nombre de participants à la cérémonie : 30.
« La seule chose que les gagnants ont reçue était un parchemin envoyé par la poste », déclarait Stan Klees à l’auteur et journaliste Larry LeBlanc en 2011.
Au cours des cinq années suivantes, les Gold Leaf Awards reconnaissent plusieurs talents canadiens, affirment la légitimité des artistes et vantent leurs réalisations de l’année.
Mais les efforts déployés par Grealis et Klees pour jeter les bases d’un fort nécessaire vedettariat ne se limitent pas aux reconnaissances annuelles : le duo fait pression sur Ottawa par l’intermédiaire de RPM pour l’adoption de mesures protectionnistes, tout en appuyant autant d’initiatives artistiques canadiennes que possible dans les pages du magazine.
« Il n’a jamais fait de favoritisme », se souvient Stan Klees. « Il disait toujours qu’il traitait tout le monde de la même façon. C’était son travail. »
En 1970, Pierre Juneau, président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), propose – et impose, à partir du 1er janvier 1971 – une réglementation obligeant les stations de radio AM à diffuser sur leurs ondes 30 % de contenu canadien. (La radio FM suivra cinq ans plus tard.)
M. Klees conçoit lui-même le logo MAPL, dont chaque initiale décrit un aspect d’un enregistrement musical donné : musique, artiste, production, paroles lyriques, identifiant un disque comme étant canadien.
Le 23 février 1970, la dernière cérémonie de remise des Gold Leaf Awards a lieu au St. Lawrence Hall de Toronto. C’est un événement avec traiteur célébrant 14 gagnants, en présence de 250 participants, bien que le duo n’en ait invité que 125.
Cette cérémonie est également l’occasion de présenter le trophée en noyer de 18 pouces en forme de métronome, conçu par M. Klees, qui a servi de prototype pour les prix JUNO.
Animée par George Wilson, personnalité de la station de radio CFRB, la cérémonie des Gold Leaf Awards récompense les lauréats suivants ce soir-là : Andy Kim (Meilleur interprète masculin), Ginette Reno (Meilleure interprète féminine), Tommy Hunter (Meilleur interprète masculin country), ainsi que Dianne Leigh, première personne à recevoir le trophée de la Meilleure interprète féminine country.
Grealis souhaitant trouver un titre plus accrocheur, le magazine organise, dans son édition du 16 mai, un concours pour donner un nom plus approprié aux prix. Le rédacteur torontois Hal Phillips suggère les « Juneaus », patronyme du président du CRTC de l’époque, Pierre Juneau; c’est « JUNO » qui sera retenu, pour des raisons pratiques.
La prestigieuse émission canadienne de remise de prix d’excellence musicale devient alors réalité. Et aujourd’hui, le Canada tout entier – pas seulement les artistes émergents – peut remercier le magazine RPM, les Gold Leaf Awards et, surtout, Walt Grealis.
Sa contribution n’échappe certainement pas à la lauréate des JUNOS la plus récompensée de l’histoire, Anne Murray, qui a dit un jour : « C’est essentiellement grâce à Walt Grealis, à sa vision, à sa passion et à ses efforts inlassables que nous avons une industrie de la musique dont nous pouvons être fiers. »
Photo : Walt Grealis, pionnier de l’industrie musicale canadienne. Crédit : Dick Loek/Toronto Star via Getty Images.