Un aperçu de l’histoire des artistes autochtones aux JUNOS
Depuis longtemps déjà, la musique autochtone du Canada est composée d’un riche éventail d’artistes et de genres. Or, il y a 30 ans à peine, une grande partie de cette musique était encore peu connue du public et de l’industrie de la musique populaire.
Mais c’était sur le point de changer.
Au début des années 1990, une artiste influente – nulle autre que Buffy Sainte-Marie – a décidé d’agir. Avec deux alliés, le musicien Shingoose (alias Curtis Johnny) et la productrice Elaine Bomberry, l’auteure-compositrice-interprète de renommée internationale a exercé de fortes pressions sur l’Association canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement (CARAS) pour que celle-ci mette en lumière les riches contributions des musiciens des Premières Nations, et pour qu’elle leur accorde l’attention et la reconnaissance qu’ils méritent.
Et le trio a été entendu.
En a résulté la création de la catégorie Meilleur enregistrement de musique autochtone du Canada aux Prix JUNO de 1994. Cette année-là, le tout premier lauréat a été l’artiste Wapistan pour son album Wapistan is Lawrence Martin, produit par la maison de disques First Nations/EMI Music Canada.
Au fil des ans, la catégorie a changé de nom plusieurs fois, en fonction de l’identification culturelle des Premières Nations. Le nom original a été utilisé jusqu’en 2003; la catégorie est ensuite devenue « Aboriginal Album of the Year » (« Album indigène de l’année ») en 2003-2009, puis « Aboriginal Music Album of the Year » (« Album de musique indigène de l’année ») en 2010-2016. En 2017, elle a été transformée en « Indigenous Music Album of the Year » (Album de musique autochtone de l’année), et enfin, en 2019, la catégorie a acquis son nom d’aujourd’hui : Artiste ou groupe autochtone de l’année.
Les critères d’inclusion dans la catégorie comprennent l’utilisation de tout style traditionnel (voix ou langue, flûte, tambour, pow-wow, chant guttural, violon métis) et contemporain qui correspond aux sensibilités de l’expérience autochtone par son texte, son style culturel et les instruments employés, qui doivent être propres à la culture autochtone. Aujourd’hui encore, le processus de demande continue d’évoluer afin de tenir compte des obstacles auxquels sont confrontées les réserves et les communautés isolées du Canada. De nombreux acteurs de l’industrie issus de la communauté autochtone ont siégé au sein d’un comité en constante évolution qui s’efforce de favoriser l’essor de la scène musicale.
Bien que de nombreux artistes très connus, comme Susan Aglukark (Inuite), aient été honorés dans cette catégorie, ils ont également été reconnus par d’autres prix JUNO, notamment celui d’Ingénieur d’enregistrement de l’année et celle de Producteur de l’année. Le groupe de hip-hop A Tribe Called Red, qui préfère en fait soumettre des candidatures dans des catégories non autochtones, a notamment été sacré Groupe de l’année en 2018.
Si les superstars Robbie Robertson (Mohawk) et Buffy Sainte-Marie (Crie) ont été acclamées pendant des décennies avant les années 1990, la scène musicale autochtone n’était pas encore véritablement florissante.
Avant cette époque – et l’établissement de la catégorie autochtone – l’industrie n’avait vu que peu d’artistes autochtones devenir de grandes vedettes. En 1961, Robbie Robertson, guitariste de Ronnie Hawkins and The Hawks (et, plus tard, du groupe The Band, acclamé par la critique), a créé un style de guitare distinctif connu sous le nom de « son de Toronto ».
Quelques années plus tard, en 1964, Buffy Sainte-Marie enregistrait son premier album, It’s My Way, encensé par la critique, produit par la maison de disques américaine Vanguard.
Alors que la scène musicale canadienne était principalement occupée par la musique folk et country, en 1966, le violoniste vedette des Maritimes, Lee Cremo (Mi’kmaq), a commencé à enregistrer avec la maison de disques Adaut Records, basée à Toronto. On estime par ailleurs que Cremo a exercé une influence déterminante sur Natalie McMaster et Ashley McIsaac.
Le groupe country 100 % autochtone The Mighty Mohawks Country Show Band de Kahnawake, au Québec, s’est produit à Montréal lors des célébrations du centenaire du Canada à Expo 67. Le groupe portait toujours les tenues standard des musiciens country, mais personnalisait son look avec ses propres attributs culturels, notamment des coiffures mohawks. De même, les Chieftones (surnommés « le groupe 100 % autochtone du Canada ») ont commencé à enregistrer des albums de rockabilly et de rock léger aux États-Unis.
Au début des années 1970, un petit groupe d’artistes autochtones a commencé à s’imposer auprès d’un public plus large. Le chanteur folk Willie Dunn (Mi’kmaq-Couashauck) a sorti son premier album éponyme de chansons de protestation sous la bannière de Summus Records, en plus de réaliser plusieurs films pour l’Office national du film du Canada. Son premier album comprenait le succès underground I Pity the Country. À cette époque, c’était surtout CBC/Boot Records et CBC Northern Services qui publiaient régulièrement des enregistrements de musique traditionnelle et contemporaine, principalement inuite. L’auteur-compositeur-interprète métis Ray St. Germain animait également une émission de variétés à la télévision nationale durant cette période.
À l’aube des années 1980, les Prix JUNO offrent une modeste présence autochtone, notamment la chanteuse country Laura Vinson (crie et métisse) qui est candidate au prix de Chanteuse country de l’année en 1979. En 1985, le groupe country The C-Weed Band, basé à Winnipeg, est en nomination prix du Groupe country de l’année.
Florent Vollant et Claude MacKenzie, qui forment le duo Kashtin (innu) du nord du Québec, lancent leur premier CD en 1989. L’album, chanté dans une langue autochtone ne comptant pas plus de 10 000 locuteurs, est certifié platine au Canada. Peu de temps après, des groupes comme Eagle and Hawk, de Winnipeg, atteignent une renommée internationale.
En fin de compte, une catégorie créée en 1994 pour reconnaître et célébrer la scène musicale autochtone a ouvert la voie à de nombreux nouveaux artistes autochtones. Cette fois, le ton est définitivement donné.
La tendance actuelle entraîne dans son sillage des artistes représentant tous les genres de musique autochtone contemporaine et traditionnelle possible. Le bassin de talents prend de l’ampleur et s’étend dans tout le pays, fruit des efforts déployés par les représentants d’une catégorie qui a su engendrer une industrie musicale des Premières Nations compétitive et créative. Les Prix JUNO ont ouvert une voie vers le succès pour tous les chanteurs et auteurs-compositeurs autochtones.
Photo : Les membres du Panthéon de la musique canadienne Robbie Robertson et Buffy Sainte-Marie aux Prix JUNO en 1992. Crédit photo : Barry Roden.