Contrairement à ce que beaucoup craignaient, le bogue de l’an 2000 n’a pas déclenché l’implosion du monde sur le coup de minuit le 31 décembre 1999, mais une sorte d’explosion se profilait tout de même à l’horizon — celle de la scène musicale canadienne. La réputation des artistes canadiens débordait nos frontières et ils faisaient un tabac sur la scène internationale.
L’ère numérique commençait à décimer irrévocablement les ventes d’albums : les ventes cumulatives de 200 millions d’albums réalisées par Céline Dion, celles de 30 millions d’un album d’Alanis Morrisette ou de 20 millions d’un opus de Shania Twain, tout cela était chose du passé. Or, l’arrivée du nouveau millénaire ne marque pas pour autant la fin des grandes percées internationales, comme en témoigne l’ascension des Avril Lavigne, Michael Bublé, Nickelback, Nelly Furtado, Sum 41, Simple Plan et Arcade Fire.
C’est décennie intéressante pour la musique populaire canadienne : il y a toujours de la pop conventionnelle, mais la musique underground se faufile dans les palmarès.
Bien entendu, les titres qui atteignent le sommet des palmarès sont des vers d’oreille soigneusement produits, quel que soit le genre musical. Que l’on pense au crooner jazz Michael Bublé, redorant le blason de valeurs sûres d’une autre époque, à Nickelback, avec ses morceaux de rock sans fioritures, mais très accrocheurs, qui ont investi les ondes des radios dans tous les marchés, ou encore à l’adolescente Avril Lavigne, communiant avec ses pairs en créant une pop acidulée qui lui vaut le statut de superstar internationale et d’égérie de la mode de l’époque.
Une nouvelle vague de punk pop déferle. Des groupes comme Sum 41 et Simple Plan débordent les frontières canadiennes, tandis que Marianas Trench et Hedley percolent partout au pays. La première décennie du second millénaire produit aussi des artistes rock plus rugueux qui suscitent une attention considérable. L’approche crue et agressive de Three Days Grace leur permet de se tailler une place au soleil aux É.-U.; le quatuor post-hardcore Billy Talent, fort d’un chanteur alternant mélodie et glapissements, est sacré multiplatine au pays; les hurlements des deux chanteurs d’Alexisonfire — dont l’un vocifère de façon inintelligible — défient la loi des probabilités.
Mais ce n’est pas tout. Les portes de la musique populaire sont alors grand ouvertes. Cette ouverture inattendue (comme l’arrivée du grunge dans les années 1990) entraîne la musique « pop » sur de nouvelles avenues, que l’on pense au duo noise-rock Death From Above 1979 ou aux sœurs indie-folk Tegan and Sara, au groupe hardcore Fucked Up ou au supergroupe indie The New Pornographers. Sans doute les groupes indie canadiens les plus importants du nouveau millénaire, Arcade Fire et Broken Social Scene, s’aventurent musicalement en territoire inconnu — du point de vue de l’instrumentation, des arrangements et des concepts. Pour l’un, dans le contexte d’un groupe plus traditionnel, pour l’autre, dans le cadre d’un grand collectif en libre-service.
Broken Social Scene fait d’abord sa marque avec sa sympathique camaraderie et un son innovateur qui ne tarde pas à attirer l’attention sur les groupes respectifs de chacun et leur travail en solo (Stars, Metric, Feist, etc.). En raison de la reconnaissance universelle acquise par Arcade Fire, la scène montréalaise attire tous les regards et la presse y voit un vivier musical foisonnant (Stars, The Dears, Wolf Parade).
Curieusement, le hip–hop et le R&B n’avaient pas encore réalisé une percée aussi significative sur les palmarès américains, une ombre au tableau qui perdurait depuis des décennies. Bien sûr, avec ses propositions mélodieuses, la formation Swollen Members parvient à échapper à l’anonymat de l’underground et les k-os, Belly, Jully Black, K’naan et Massari s’installent dans la durée. De son côté, Drake émerge avec quelques mixtapes indés durant cette période — notamment, son troisième en 2009. Toutefois, ce n’est que l’année suivante qu’il lance son premier album officiel, qui fera de lui le plus important artiste de hip–hop canadien de tous les temps.
Mais c’est une autre histoire, celle d’une autre décennie.
Photo : Billy Talent remporte le prix du Groupe de l’année aux Prix JUNO 2007. Crédit : CARAS/iPhoto